OSMOSCOSMOS

L’exposition OSMOSCOSMOS tente de mettre en résonance deux univers qui ne sont que trop rarement associés dans nos cultures monothéistes où la sexualité est marquée par la culpabilité : Éros et cosmos. Nous pouvons les décrire comme dynamiques, comme non immobiles, non stables, non fixes. Jean-Pierre Vernant (1), spécialiste de la Grèce antique et de ses mythes, rapporte la rencontre de ces deux entités : Éros — toujours en mouvement, entre les hommes et les dieux — assiste à la naissance de l’univers, en permettant à Ouranos et Gaïa de procréer. Gaïa, qui s’émancipe du Chaos, a besoin de l’énergie d’Éros pour s’unir à Ouranos. Allongé sur le dos et s’accouplant avec Gaïa, Ouranos refuse de se retirer, malgré les Titans qu’ils viennent d’enfanter et qui attendent de naître. Gaïa encourage ses futurs enfants à se révolter et place dans la main de Cronos une faucille. Celui-ci saisit l’objet et sectionne les bijoux de famille de son père. Ouranos se dégage de Gaïa avec véhémence, l’immense douleur le fait bondir vers le haut. Le voilà formant la voûte du ciel, le firmament étoilé, le Cosmos – pour toujours. 
 
Vu le rôle éminent que joue Éros dans la mythologie grecque lors de la constitution du cosmos, Jean-Pierre Vernant le décrit aussi comme la force toujours en mouvement, un peu à l’exemple du cosmos qui ne cesse de s’épandre. Si Éros a la réputation d’être un entremetteur, par exemple d’inciter Ouranos à s’accoupler avec Gaïa, l’exposition OSMOSCOSMOS tente, par des images photographiques et vidéographiques, une approche d’Éros et de cosmos, ou pour le dire plus modestement, de rapprocher des images traitant de l’érotisme de celles renvoyant au cosmos, et vice et versa. 
 
La seule image non photo- ou vidéographique dans l’exposition est une abstraction : Cosmic Fuck de Lee Lozano. Ce dessin, construit par l’artiste à partir du symbole de l’infini, tient en lui ce dont l’exposition ne peut rendre visuellement compte : ce moment de haute exaltation dans l’union érotique, entre deux êtres, au sommet de l’ultime excitation, ce moment de jouissance partagé qui nous fait sentir un court moment d’éternité, en osmose avec l’autre, en fusion avec le cosmos. 
 
Les photographies et vidéos, par leur force descriptive, garderont un caractère allusif, comparé à la précision du dessin de Lee Lozano qui propose une représentation de l’osmose érotique. N’est-ce pas l’allusion qui marque, entre autres, la différence entre érotique et pornographique, le dernier ayant l’ordre de donner tout à voir ? L’imaginaire érotique s’est vu enrichi d’un grand nombre de nouveaux imaginaires érotiques et sexuels depuis les années 1970.
 
La lutte pour l’autodétermination sexuelle s’est jouée pour de très larges couches sociales du monde occidental dans ces années-là et constitue sûrement un marqueur du siècle passé. L’exposition OSMOSCOSMOS est en ce sens une tentative de tracer des lignes depuis les années qui ont suivi le « Summer of love » de 1967 jusqu’à aujourd’hui et de célébrer le désir sexuel hors de toutes les idéologies de la souffrance et de la culpabilité, imposées violement par les religions monothéistes, tout comme la réaction à leur oppression, pas tellement plus libératrice, telle que le Marquis de Sade et ses défenseurs. 
 
Ce qui s’est joué à ce moment dans l’art contemporain et dans la société, un possible renversement du patriarcat, a commencé par la lutte pour les droits civils, pour les égalités, entre femmes et hommes, entre femmes et femmes, entre hommes et hommes et le respect des enfants. Pour OSMOSCOMOS, les artistes de ces années forment le point de départ d’une grande diversité à figurer Éros, incluant aussi la critique des pratiques de représentations misogynes qui naissent au même moment, comme les entreprises éditoriales à succès mondial de Playboy ou Lui (2), dont des artistes démasquent les apparences genrées et passent par-dessus bord les rôles codés du « masculin/féminin » (3). 
 
Les deux thèmes, Éros et cosmos, sont déjà à peu près inépuisables. La construction de l’exposition n’a pas suivi des listes d’artistes ou des index thématiques. Elle est beaucoup plus le résultat d’une déambulation mentale et physique des derniers trois ans, avec des images glanées à la manière dont Mona glane dans le film Sans toit ni loi. C’est une juxtaposition de mondes parallèles, pas nécessairement destinés à se retrouver sous le même toit, sous la même loi. 
 
Dans l’astrophotographie, de grands changements ont aussi eu lieu, mais des changements d’une autre nature, grâce principalement à la photographie assistée par ordinateur. Si l’avant dernier moment fort dans nos rapports extraterrestres était l’atterrissage d’une sonde chinoise sur la Dark Side of the Moon, la dernière fut la première preuve photographique d’un trou noir, sans être encore de la photographie dans le sens d’enregistrement de photon. Ce ne sont plus des rayons de lumières mais des vagues sonores provenant de 53 millions d’années lumière, qui ont été enregistrées, puis interprétées par Katie Bouman. C’est elle qui avait développé l’algorithme au MIT qui a permis de coordonner toutes les données récoltées par les 8 radiotélescopes partout dans le monde pour donner l’image que nous avons vu récemment, celle du premier trou noir au cœur de la galaxie M87.
 
OSMOSCOSMOS n’aura pas recours à la photographie scientifique. La plupart des images faisant allusions au cosmos sont des artefacts des photographes et artistes. Les images sont sorties de leur imaginaire et non pas du Hasselblad d’un cosmonaute Seule une projection résumera avec des unes de magazines et de journaux la conquête de l’espace voisin de la terre et une photographe amateur-astrologue de Buenos Aires, ainsi que deux amateurs astro-photographes genevois, présenteront grâce aux grands changements dans la prise de vue, aux images numériques et à leur potentialisation par ordinateur, une partie de leur récolte, dont une galaxie qui a été découverte par l'un d'entre eux. Deux artistes affirmés montrent des photographies scientifiques qu’ils se sont appropriées dans certains corpus scientifiques.
 
Le dispositif d’exposition est réalisé par Alexandra Schüssler, co-curatrice d’OSMOSCOSMOS. Les salles sont plongées dans une semi-obscurité, éclairées seulement par les images fixes et en mouvement et par l'illumination des vitrines, où sont présentées des photographies imprimées, que ce soit des fine-art prints, des livres ou des photographies de presse. Cette stratégie du montage dans des vitrines ou sur les murs avec projection reconnaît sa dette envers Aby Warburg. L’historien d’art et des civilisations mis à l’écart durant le XXe siècle et si prisé au XXIe siècle, a beaucoup travaillé avec des copies, « l’expérience de l’authenticité » est chez lui remplacée par une « expérience du sens ». En ce sens, OSMOSCOSMOS mise comme toutes les expositions du CPG sur l’« expérience du sens ». Elle est un atlas aux constellations les plus subjectives, invitant le regardeur à construire son propre cosmos.
 
Nous sommes très reconnaissants aux artistes d’avoir accepté de jouer le jeu et d’avoir modifié la nature de leurs photographies, que ce soit leur nature matérielle ou leur format. C’est grâce à leur adhésion au projet expositif que OSMOSCOSMOS peut proposer des constellations d’images qui composent un cosmos, voire un atlas, très subjectif. 
 
Nous avons aussi repris l’esprit du catalogue dynamique, c'est-à-dire qu'à part la publication que vous tenez en main, il y a aussi une possibilité de suivre l’exposition sur le blog, avec des textes et des images qui réagissent à l’exposition une fois montée, sous la rédaction de Sébastien Leseigneur.
 
Néanmoins, malgré les manques d’espace et autres, il reste de la place sur cette page pour inclure ces quelques lignes, rappelant que d’autres mode de vie, d’autres spiritualités réunissant Éros et cosmos habitent la planète sur laquelle vous êtes debout en lisant ces lignes. Michel Onfray écrit dans son livre Les Bûcher de Bénarès – Cosmos, Eros et Thanatos : « [Dans l’art érotique indien] le sexe y est simple, naturel, en rapport avec le cosmos, jamais séparé du réel, du monde, de la vie, des autres, toujours là pour rappeler la liaison entre les parties et le grand tout » (4). Et il développe plus loin : « Or le sexe n’est pas partout, pas plus d’ailleurs qu’il n’est nulle part. Il est dans le monde comme une des forces parmi des milliers d’autres. Il existe une énergie libidinale tout comme il y a une puissance spermatique des fleurs, une force génésique des astres, un tropisme de flux cosmiques, un magnétisme des vigueurs animales, le tout effectuant des variations sur l’unique force immatérielle et invisible ». (5)
 
Joerg Bader
 

(1)
Jean-Pierre Vernant, L’Univers, les Dieux, les Hommes, Éditions du Seuil, Paris, 1999 p. 25–26
(2)
Voir la revue absolu, éditée par le chanteur Claude François qui parfois prête la main pour le travail de photographe « érotique »
(3)
C’est aussi le titre d’une exposition, une des premières à établir des relations d’âme sœur entre l’art moderne, surtout surréaliste, et l’art contemporain à partir d’Éros. Féminin/Masculin, montré au Centre Georges Pompidou à Paris en 1996, avait été organisé par Marie-Laure Bernadac et Bernard Marcadé.
(4)
Michel Onfray, Les Bûcher de Bénarès – Cosmos, Eros et Thanatos, Éditions Galilée, Paris 2008, p. 66
(5)
Idem. p. 71–72
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OSMOSCOSMOS50JPG19.6–25.8.2019