Présentation
Hiver austral est un poème en prose, écrit au futur. Il est composé de trois parties de longueur différentes. Dans un premier temps, le poème raconte la solitude du narrateur face à un immeuble, vu de l’extérieur, dans la ville de São Paulo. Un interlude propose une version alternative : le narrateur est accompagné.  Dans un second temps, le narrateur, désormais à l’intérieur de l’immeuble invoque les stimuli perçus depuis l’appartement, émanant de l’environnement extérieur. La circulation en images et en métaphores, entre l’intérieur et l’extérieur de l’immeuble est évocatrice d’une sensualité retrouvée. Dans un troisième et dernier temps, le texte se réduit à deux phrases, composée d’éléments prélevés dans l’ordre chronologique du poème, dans une synthèse expérimentale de l’ensemble. Cette dernière partie célèbre l’unité que forment cosmos et éros. 
 
2e partie
 
À São Paulo, au 21e étage de ce même immeuble, suspendus dans un temps sans frontières, entre un pays d’Europe et la terre d’arrivée, nous secouerons la fatigue que les voyageurs traînent, sur des draps à rayures, que l’ombre et l’odeur du café importé balayeront.
 
Du couloir court et sombre viendront les éclats de voix, les échos de pas, les tintements de clefs qui animent les couloirs de tous les immeubles. Dire “de tous les immeubles“, c’est penser “c’est sans doute le cas partout“. Dire “de tous les immeubles“, c’est se résoudre à croire que la réalité d’un ailleurs n’est peut-être pas définitivement différente de notre propre quotidien.
 
Par la fenêtre ouverte, derrière son store aux lamelles abimées, nus, lavés par l’aube pâle, nous interprèterons les cris, les vrombissements, les atterrissages, les jappements, les crissements, les bourdonnements. Tout un autre monde, près de nous, dans lequel nous ne prétendons plus être, avec lequel nous devons être. Les tendresses urbaines n’ont pas leur nom. Elles ne se reconnaissent qu’en déplacement. En quittant sa ville, l’on retrouve la mécanique des habitudes. Par apprentissage. En s’installant, même provisoirement, c’est la même chose. L’on explore les alentours après les avoir doucement regardés. L’on se donnera alors le droit d’imaginer ce qui peut convenir. Puis, l’on répétera les expériences. Comme cela, presque sans y penser, l’on redeviendra, en une autre ville, un habitué. Nous aurons peut-être cette envie. Quand nous arriverons, nous ne saurons pas ce que nous voudrons.
 
Les caisses de vertiges iront profondes et chargées. Dans l’immeuble, grand, immense, peut-être insaisissable, les ascenseurs rouillés, voilés, reviendront aux étages supérieurs après des plongées sidérantes, gonflés de la vitesse moderniste. D’étage en étage, ils iront encore, ballotés par les rouages anciens ou remplacés. Du deuxième sous-sol au 38e étage, caressant l’intérieur d’un long et courbé paquebot de béton, il traîneront avec eux les habitants seuls ou en grappe. Comme le drap lâché au vent, le bâtiment secouera ses plis dans les vacarmes du vent. Il détendra ses ourlets sur l’Avenida Ipiranga.
 
Derrière les yeux noyés par la fatigue heureuse que les plages de la Méditerranée n’auront jamais pu promettre, le café m’attendra. Dans la pénombre d’une chambre bleue battue par les vents, les soupirs répétés appelleront la bouche de l’autre que j’aime. Edifìcio Cosmos. Blocco F.

FLORESTA_TMCOPPOLA_2019 / NASA

OSMOSCOSMOS50JPG19.6–25.8.2019